#129 Le casseur d'ambiance

Il y en a un dans toutes les bandes de potes, dans toutes les soirées, tout le temps, un casseur d'ambiance. Celui qu'on a envie de secouer et dont le manque d'enthousiasme est tel qu'on en vient à l'ignorer complètement parce que c'est trop chiant, un mec qui tire la gueule tout le temps. Ce mec, c'est  parfois moi. 

Photo via Arnaud Frich 
Parfois. J'insiste bien sur ce terme parce que dans le cas contraire, ça ferait longtemps que j'aurais plus de vie sociale. Donc oui, ça m'arrive, d'être le casseur d'ambiance. Cet article s'adresse principalement aux gens comme moi - aux casseurs d'ambiance - mais aussi et surtout aux autres, à ceux qui doivent les supporter. Car si vous pensez vivre l'enfer en supportant quelqu'un qui n'est pas comme vous, vous allez voir que c'est encore plus frustrant de se faire renvoyer sa différence en pleine gueule et de se sentir en décalage avec tout le reste du monde. Afin d'élever un potentiel futur débat, je tiens d'ores et déjà à préciser que non, ce n'est pas un stratagème pour exister socialement que de passer pour le lourdaud de service, les gens qui ont du mal à s'intégrer au sein d'un groupe ne font pas exprès de s'y exclure, sachez que nous ne sommes pas tous nés avec une fibre sociale en argent dans nos gènes. Ceci étant dit, je pense pouvoir commencer à entrer dans le vif du sujet. 

Ça s'est passé samedi soir, on avait prévu d'aller boire un verre avec Julien et Alexandra, comme nous avons l'habitude de le faire, dans un bar plutôt calme et pas trop cher. Certaines personnes de la promo avec qui nous discutons de plus en plus souvent maintenant devaient nous rejoindre. Nous nous retrouvons tous les trois à Pigalle aux alentours de 22h et attendons le reste du cortège - composé de trois autres mecs : Antoine, Kévin et Tristan, ce dernier étant un pote de Kévin, donc inconnu au bataillon. Les derniers trains pour rejoindre l'extérieur de Paris étant aux alentours de 0h40, le laps de temps était donc largement suffisant pour s'offrir 2-3 cocktails, de quoi réchauffer les coeurs en ce froid sibérien. 

Kévin est le genre de mec qui s'en bat les couilles de tout. De son allure en passant par sa façon de parler, tu sens les gènes du fêtard invétéré. Il se moque des plans galères, au contraire, ceux-ci lui permet de réfléchir à l'élaboration d'un plan B. C'est le genre de personne, pour que ce soit un peu plus concret pour vous, qui dit "ben alors, vous dormez ou quoi" quand il estime que l'ambiance n'est pas assez folle. Ça y'est, vous voyez ? Enfin bref, lui et Tristan arrivent avec 45 minutes de retard. Forcément, le bar est complet. Ils le sont tous. Passées 30 minutes à tourner dans le quartier, la décision de partir à la recherche d'un bar dans un autre endroit est adoptée quasi-unanimement. Direction le métro, jusqu'à Jaurès, pour rejoindre un bar où je n'avais jamais posé les pieds et dont j'ignorais l'existence auparavant : l'Éphémère, le long de la Seine.

Alors déjà, je ne sais pas pour vous mais moi, le simple fait de ne pas savoir où je vais a tendance à un peu m'angoisser. De plus, j'ai horreur d'avoir le sentiment d'être trainé, tout comme je déteste être le meneur d'un groupe car j'estime ne pas être en mesure de supporter le poids de la responsabilité et d'endosser le rôle du coupable si un problème intervient durant le périple. Malheureusement, c'était pourtant ce qui se passait lorsque nous nous rendions au bar : j'étais traîné, derrière, avec Alexandra (et Antoine, à certains moments) à partager mes remarques sarcastiques, quand le reste du groupe menait la danse, devant nous. 

On arrive dans le bar, bondé. La clientèle est... à l'image du bar,  c'est plein d'hypsters bobos aux looks faussement négligés, une pinte de bière à la main. La musique est forte, beaucoup trop forte, je ne me sens pas à ma place et je crois que ça peut se lire sur mon visage. On se dirige vers le bar pour passer commande, parce que c'est quand même pour ça qu'on est venu à la base. 

Kévin se tourne vers moi pour me demander mon mode de paiement. 

"Je paye en liquide. Mais j'ai qu'un billet de 50€", et oui ! Le gros lourdaud qui se ramène avec des gros billets dans des bars bondés où faut passer une commande pour 6 personnes mais qu'est trop radin et trop pauvre pour avancer tout le monde… c'est aussi moi ! Après un commentaire sur le choix de mon mode de paiement, qui n'est pas des plus optimal il faut l'avouer, c'est à contre coeur que j'accepte qu'il m'avance mon verre. 

Une fois dehors, parce qu'on ne pouvait pas rester à l'intérieur vu le monde, l'ambiance est complètement redescendue. J'arrête de parler, préoccupé par l'angoisse des derniers métros, blasé par le tournant inattendu qu'a prit la soirée et par l'endroit où je me trouve, je commence alors à introduire l'idée que je vais bientôt rentrer. Julien semble avoir a priori le même souhait, quand tout à coup, Alexandra requiert l'attention de tout le monde : une soirée se passe chez un de ses potes au moment même où elle parle, pote qui se trouve habiter juste au-dessus de l'Éphémère et tout le monde est invité. 

Là, j'ai compris que je ne serai pas de la partie. J'ai alors décidé d'arrêter les frais et de rentrer, seul.  Avant de partir, j'ai donc du justifier mon acte, forcément. Je l'ai joué 50% de mensonge, 50% de vérité :

"Non mais j'ai des trucs à faire demain, je peux pas me permettre de me lever trop tard, pas ce week-end (gros mensonge), puis j'ai pas envie de me la coller jusqu'à 6h du mat', (vérité)"

Ils y sont allé eux, finalement. Et du point de vue d'Alexandra, c'était plutôt cool. 

Sur le chemin du retour, j'imaginais la suite de leur soirée. Surement beaucoup plus mouvementée et amusante sans moi. Je ne me prends pas pour le centre du monde mais je pense vraiment qu'une personne "comme moi" n'a rien à faire à "ce genre de soirée". Je ne pense pas trop m'avancer en disant que si Antoine, Kévin et son pote finissent par intégrer le groupe, je serai dans l'obligation d'aller voir ailleurs. Parce que tout ça ne me correspond pas, tout simplement. J'aime pas sauter partout, hurler à m'en casser la voix, boire comme un trou, voir de la foule, parler avec des gens que tu reverras peut-être, ou pas… on sait pas trop, si on pense à s'échanger nos Facebook entre deux teq-paf. J'aime rien de ce monde là, mais j'apprécie mes potes. Enfin. 

Je crois, avec le recul, que c'est le fait d'avoir été littéralement entouré de mecs qui m'a un peu gêné. Je crois que mon rapport aux messieurs pose problème, un peu chiant quand t'es gay. Soit je me fait socialement bouffer et on en vient à m'ignorer complètement, soit je me sens obligé de me battre pour attirer l'attention du groupe et entre alors dans une espèce de duel solitaire, dans lequel chaque réaction que je provoque est une victoire et un coup porté au visage de mes adversaires, ceux que je vois comme étant les pourvoyeurs d'ambiance. C'est très étrange. 

Lucas Lopes

Blogueur depuis 2012. Lucas, 20 ans, suceur de bites et fumeur de joints. J'aime envisager mon écriture comme étant une forme de psychothérapie.

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