#123 Le bruit des sirènes

Il fait froid, mais comme toujours en sortant du code j'ai très chaud. La date fatidique approche, court en ma direction sans que personne ne le sache. Comme toujours, je sors mon téléphone, afin de raconter à Marc l'étendue de ma connerie et faire le point sur les thèmes qui me posent problème. 

Les mots s'additionnent, les uns à la suite des autres, plus rien n'existe. Mes jambes s'acheminent vers leur destination, j'avance automatiquement, d'un point A à un point B, sans contrôle, sans attention. Je lève les yeux, il fait nuit, le ciel est noir et l'éclairage public m'indique que l'avenue est encore longue… Comme s'il s'agissait d'un simple contrôle du chemin restant à parcourir, je replonge dès lors dans la rédaction de mes erreurs, sans regarder ce qui m'entoure. 

Mon autisme se trouve brutalement interrompu lorsque deux jeunes demoiselles s'approchent de moi. La bouche d'une des deux dégage des sons que je ne peux comprendre, j'ôte alors un de mes écouteurs et lui demande de répéter ce qu'elle vient de me dire. 

D'un ton aussi sec que glacial, ponctué par un accent de cité que je connais très bien, elle me demande si je peux lui prêter mon téléphone pour qu'elle puisse passer un coup de fil. De façon quasi-automatique, je réponds qu'étant en crédit de secours, ça ne va pas être possible, puis reprends ma route. L'écouteur qui est resté hors de mon oreille, surement par oubli, me permet d'entendre une voix masculine prononcer un "fils de pute", sûrement pour moi. Je n'avais pas vu, les filles étaient accompagnées par une bande de mecs. 

 Je continue de marcher, en faisant abstraction des insultes prononcées à mon égard et replonge dans mon autisme. Quelques secondes après avoir repris ma rédaction, j'entends des bruits de pas qui se rapprochent vers moi et de plus en plus vite. À peine après avoir compris ce qui allait m'arriver, c'était trop tard. Le "fils de pute" tient, tout comme moi, mon portable dans la main. 

J'agrippe mon téléphone. Il ne peut pas s'en aller. Personne ne peut me le prendre. C'est mon téléphone. C'est impossible, impossible. Tu ne l'auras pas enfoiré de merde. Sale fils de pute. Lâche-le. Tu ne peux pas me le prendre, t'as pas le droit. 

Le fils de pute tente de me balayer par terre, je résiste, mon téléphone est comme soudé à ma main, il ne peut pas me le prendre, il n'y arrivera pas. L'affrontement s'éternise, comme s'il durait depuis un an, l'univers qui m'entoure n'a encore une fois plus aucune importance, je reste fixé sur mon téléphone. Puis, d'un instant aussi vif que l'éclair et sans en comprendre la raison, ma main se met à glisser. Il en profite pour me tirer vers lui, je résiste, je ne tiens plus qu'un tiers du téléphone, il a réussi. D'un coup sec, il le prend avec lui et s'en va en courant. 

Je me lance à sa poursuite, demande de l'aide, l'insulte, libère toute ma haine, je n'ai pas peur, je suis en colère. Je cours, le suis. Il entre s'engouffrer dans une cité alentour, peu importe ce qu'il y a au bout, il faut que j'y aille, que j'essaie. Que j'essaie encore. Quoi qu'il m'en coute. 

Mes "fils de pute" résonnent de part et d'autre de la cité, vide. J'ai l'impression d'être seul au monde, d'être abandonné et dépourvu de tout espoir. J'arrête de courir, le regarde s'éloigner et jeter un oeil derrière lui. Il l'a. 

Je me retourne, pensant que le calvaire est terminé et constate que non, je n'étais pas seul, des gens se trouvaient derrière moi. Des garçons, à capuches, certains sont en vélo, d'autres à pied. Je comprends que ces garçons sont avec le voleur et qu'ils ont sûrement été alerté par mes appels au secours et mes insultes lancées dans le vide. Ma détermination à retrouver mon téléphone se transforme en véritable peur. Il devient alors vital de calmer le jeu. 

" C'est bon. J'me casse. "

Lucas Lopes

Blogueur depuis 2012. Lucas, 20 ans, suceur de bites et fumeur de joints. J'aime envisager mon écriture comme étant une forme de psychothérapie.

6 commentaires:

  1. Oui c'est dur de se faire agresser de la sorte.... même allumer une cigarette dans la rue devient "risquer" j'espère pour toi que tu n'as pas eu d'autre dommage que ton téléphone et que tu t'es remis de cette situation... je me demande s'ils vont comprendre un jour tout le tort qu'ils se font "les fils de pute" a agir de la sorte car un jour il y aura un retournement de situation et là j espère que ça fera mal.....

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  2. J'ai déjà vécu ce sentiment de haine qui peut légitimement conduire à des pensées pas politiquement correctes. Mais qui blâmer ? C'est facile quand on s'appelle Duflot ou Désir et qu'on ne connaîtra jamais ça...

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  3. Tu t'es mis en danger, dis donc. Je ne sais pas ce que j'aurais fait. Un jour, on m'a piqué le mien gare du nord. Par le mec qui très "spontanément" m'avait aidé à pousser mon bagage dans la rame bondée. Un classique paraît-il. Comme il était resté sur le quai, j'en suis resté avec mes boules. Je précise qu'il ne ressemblait pas aux "fils de pute " dont il semble être question.

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  4. Vive St Denis... :(
    Mais, malheureusement, "classique". J'espère que tu n'as pas été trop choqué de l'agression (et que tu avais des sauvegardes de ton téléphone, evidemment) !

    J'ai la chance d'etre grand et assez baraqué, de mon côté, du coup ce genre de trucs ne m'arrive jamais... pourtant j'ai bossé à St Denis :) Courageux, mais pas téméraires, les agresseurs !

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  5. Je trouve ça complètement dingue. Ça me rend malade. On ne peut pas faire de généralités, on ne le devrait pas, mais dans quel monde on vit sérieux ? En tout cas, j'espère que ca va bien. Personnellement, c'est le genre d'événement qui me marquerait pendant quelques temps. Et si c'est le cas, même si c'est facile à dire, souviens toi que c'est toi le gentil de l'histoire, que tu vaux mieux que ces raclures. A très bientôt sur ton blog, un plaisir de te relire !

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  6. J'espère que tu lui as bloqué ton tel :)

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